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6 février 2009 5 06 /02 /février /2009 09:01
Voici un article sur la paternité publié en 1981 par la revue "Autrement" qui pourrait dater d'aujourd'hui...

L´instinct paternel, ça n´existe pas ?

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Guido de RIDDER - Auteur de Pratiques et aspirations d´hommes à la recherche de nouveaux rapports avec les femmes (École des Hautes Études en Sciences Sociales).
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NOTRE SOCIÉTÉ est quelque peu discrète, sinon muette, quand il s´agit de la paternité. Il suffit, pour s´en convaincre, de feuilleter les dictionnaires : le Larousse nous apprend (par omission) que l´instinct paternel n´existe pas tandis que bien sûr l´instinct maternel figure en tant qu´institution. De même, on trouve le verbe « materner » mais ni le Larousse, ni le Robert, ne savent ce que c´est que « paterner »... « Les modalités des différentes tâches de la parentalité sont artificiellement et symboliquement imparties à l´un et l´autre sexe (...) partage qui fait la part belle à la génitrice » [1]. Mais un certain nombre d´hommes commencent à prendre conscience que la paternité peut être autre chose que ce que la société impose, qu´eux-mêmes non porteurs d´enfants, peuvent porter des « désirs de maternité ».

S´il existe une plainte des femmes, plainte aujourd´hui peut-être plus fortement exprimée, plainte parfois hurlée comme l´a fait Marie Cardinal qui a trouvé « Les mots pour le dire », assurément il existe une plainte des hommes, la plainte au sujet des enfants. De quoi s´agit-il ? La plainte des hommes, quand elle se dit, découvre une série de manques : d´abord ils se plaignent de ne point participer à la création comme les femmes, par l´enfantement :

Laurent : « Contrairement aux femmes qui pourraient être fières de leur ventre qui gonflait, en plein développement, nous, nous étions secs, nous nous retrouvions avec rien. Nous qui avions tout pouvoir, qui étions les "maîtres du monde", nous manquions de l´essentiel. »

Ensuite vient la plainte d´être écarté de l´enfant par la mère. Alex : « Avec Béatrice, il y avait toujours un conflit latent au sujet des enfants. Le premier enfant, je voulais m´en occuper comme elle, mais je me sentais mis un peu à l´écart ; bien sûr, je partageais les tâches, mais j´avais l´impression qu´il fallait constamment que je m´impose dans mon rapport avec cet enfant, que Béatrice se le réservait. Alors, avec le second, j´ai un peu laissé tomber, je m´en suis occupé moins, Béatrice faisait comme si les enfants, ça lui revenait. »

Beaucoup de ceux qui ont connu une rupture avec divorce ou une séparation se plaignent de la privation plus ou moins forte qui a résulté des mesures de garde. Guillaume : « J´avais le sentiment d´avoir perdu mes enfants, d´en être privé, de devoir payer ma séparation en étant dépossédé des enfants. Je ne les voyais plus que tous les quinze jours et à chaque fois, il fallait renouer les rapports, se retrouver, ça demandait un certain temps et puis ensuite ils repartaient. J´avais l´impression d´avoir perdu quelque chose, j´étais pauvre d´enfants, et jusqu´à ce que ça s´arrange un peu moins mal, je me sentais, comment dire, dans une espèce de misère au point de vue des enfants. »

« Si je pouvais être enceint ! »

Demeurés toujours extérieurs au développement de la grossesse, à l´accouchement, des hommes ressentent leur manque fondamental, celui de ne pas pouvoir créer d´enfant en leur corps [2]. Est-ce en raison de cette impossibilité de porter et de faire naître un enfant, de cette « béance masculine », que l´on voit aujourd´hui beaucoup d´hommes porter un intérêt grandissant à la gestation et à l´accouchement ?

On a pu voir plusieurs films où les hommes simulaient la grossesse ou la naissance. L´envie de la grossesse, le désir de maternité bien qu´ils les taisent ou les refoulent, sont présents chez bien des hommes, ce dont tout psychanalyste est témoin, et ce que certains d´entre eux reconnaissent [3].

Si le désir d´enfants chez les femmes est lié à l´envie de faire l´expérience de la grossesse et de l´accouchement, il est aussi, d´après le témoignage de nombreuses femmes, relié au désir de « pouponner » [4]. Exclus, pour cause, de l´expérience de la maternité, les hommes sont maintenus/se maintiennent également à distance du pouponnage. Pourtant celui-ci apparaît comme une compensation possible de la béance masculine : « Je suis un homme et je n´ai pas de lait, ni de seins, ni de nid dans mon ventre. J´ai souvent rêvé d´avoir des seins, de donner la vie et de la cultiver comme on cultive un jardin, comme on arrose des belles plantes ou des fleurs qui éclosent, embaument, éclatent de beauté. Faire téter un bébé, lui donner ma chaleur, ma tendresse, mon amour, mon lait sécrété pour lui par mon corps en secret. Lui donner ce liquide qui vient du plus profond. Lui donner du plaisir, en recevoir de lui. Le
nicher contre moi au creux de ma poitrine, entre mes bras et mes seins. » [5]

Mais les désirs de porter un enfant, de l´accoucher et de l´allaiter, ne peuvent trouver concrètement réalisation ; il reste que les hommes doivent assumer cette diminution de ne pas vivre, sentir, la vie en leur propre corps, connaître la joie de la symbiose de deux corps, l´unité. Certaines analyses féministes montrent que ne pouvant créer en lui, l´homme a créé en dehors de lui, dans le monde, par le biais du langage et du travail, qu´il a, en somme, travesti son impuissance en projetant sa force sur l´extérieur : vide à l´intérieur, il a tû son corps, s´est projeté à l´extérieur, comblant par le langage et l´action la faille, le manque inhérent à son sexe. Croyant pouvoir dépasser son manque irréfragable en renversant l´ordre des valeurs, il a fait du genre masculin le principe à imposer, du sexe d´homme symbolisé par le phallus le signe positif (+), tandis qu´il a circonscrit la femme à la « nature
» et fait du sexe féminin le signe négatif (-).

On comprend dès lors que la « révolution féministe », en détrônant cet ordre des valeurs, réactualise les angoisses cachées des hommes et les oblige à se regarder autrement. Une nouvelle dialectique se profile où l´on voit que les hommes pourraient aussi agir d´une façon plus ou moins explicite selon un désir d´être femme [6]. Ce que la mise à jour des désirs d´enfants élucide chez les hommes, c´est en effet, bien souvent, la « part féminine » qu´ils portent en eux, cette part qu´ils peuvent identifier au pôle de l´autre sexe. Et cela ouvre une toute autre perspective à la polémique des sexes : « Les revendications utérines que l´homme exprime pourront peut-être lui permettre de dépasser sa définition traditionnelle, ses valeurs anciennes, de sortir de sa prison. Elles joueront les mêmes rôles que les revendications phalliques des femmes ; après une phase de déstructuration de l´identité masculine,
elles devraient lui permettre de redécouvrir, entendre, vivre son vrai corps » [7].

Il ne s´agit plus d´assister la femme mais d´être père

On sait que le sentiment paternel, le sentiment que l´enfant est réellement « adopté », complètement présent à la conscience du père, apparaît plus ou moins précocement. Si ces attitudes par rapport à la paternité s´affirmaient, elles mettraient en cause la notion d´enfant propriété de la mère. Dès lors que les femmes réclament la présence et la participation active de l´homme au cours de la grossesse, de l´accouchement et après la naissance, les stéréotypes sociaux de la maternité et de la paternité tendent à se modifier dans le sens d´un changement de la place de chacun, de ses rôles, et dans le dispositif des rapports parentaux à l´enfant.

Il ne s´agit plus seulement que l´homme « assiste » ou « aide » la femme mais que les deux parents soient présents à l´enfant. C´est un premier niveau. Il peut être une réponse suffisante à la demande des femmes de partager égalitairement les contraintes de la présence de l´enfant (réponse que les mass media et les magazines notamment présentent comme la nouvelle normalité affriolante : les nouveaux pères doivent savoir talquer, baigner, nourrir, bercer).

Mais nombreux sont les hommes qui, ayant été amené à interroger leur propre regard sur la paternité, à rechercher leur propre rôle auprès de l´enfant, portent le problème à un autre niveau : ils ne se satisfont pas de la « participation » à l´arrivée de l´enfant et à sa prise en charge, ils réclament la reconnaissance de leur désir de paternité : le désir d´un enfant n´est pas que le désir d´assumer un rôle auprès de lui. Il s´agit qu´au-delà d´une simple redistribution des rôles, les désirs paternels soient reconnus dans leur différence par rapport à ceux de la mère.

En somme, il ne suffit pas d´altérer les stéréotypes et les modèles sociaux en allant vers une homogénéisation, une identité des rôles des parents à l´égard des enfants [8] en mettant en place un nouveau modèle de comportement (nouvelle normalité, indifférenciation et similarité des rôles), mais il s´agit d´apprendre à vivre (avec) ses enfants différemment pour l´homme et pour la femme, c´est-à-dire à se faire reconnaître dans sa différence par rapport à l´autre. Autre chose, donc, que la seule identification/ assimilation des rôles du pôle féminin.

« C´est la première fois qu´entre hommes on parle de nous »

« Il y a deux ans et demi, j´attendais un enfant, mon deuxième enfant. Il est devenu alors difficile, impossible de dire ou plutôt de bafouiller des trucs que je ressentais ou que je rêvais à la mère. La seule possibilité de parler est apparue comme étant de parler avec des mecs. Un copain, Pierre et Christian, qui vit avec moi en communauté et moi démarrons un groupe. Les débuts en sont difficiles ; c´est la première fois qu´entre hommes on parle de nous. C´est un soulagement de dire mes désirs, de « sortir » l´enfant imaginaire que je portais en moi. C´est la difficulté de dire l´étrangeté douloureuse de me sentir extérieur à la joie de la femme mère, à un mouvement de l´enfant non encore connu ; c´est la souffrance de dire que pour nous, physiquement et socialement, la grossesse se passe dans la tête en attendant la réalisation de mon désir d´enfant ; et que ce désir d´enfant, il ne se réalise
peut-être pas lors de la naissance, mais peut-être symboliquement ailleurs. Cet ailleurs, il se balbutie dans l´écriture d´un journal dit intime, de livres souvent avortés, dans l´écoute que l´on a pour l´autre (que l´on fait "renaître"), dans son boulot (parfois dans la compréhension solitaire d´un phénomène), dans le rêve, dans... mon premier enfant vécu comme une prolongation/ réparation de moi, un enfant imaginé dans ma tête, imaginaire et forcément différent dans le réel mais comme mort né pour moi à l´intérieur, mort né dans le peu d´espace temps que je lui ai réservé dans le réel.

Mon deuxième enfant, symbole de survie, de lutte contre la mort et la séparation, réparation du premier enfant. C´est dans ce groupe que pour la première fois je parle de l´enfant, des enfants/enfances que j´imagine et que je ne parlais auparavant que dans le couple parental... Ce premier groupe avait une fonction directe dans ma vie physique puisque Christian vit avec moi, dans la même communauté et que nous voulions sortir d´une agressivité homme-femme et sortir aussi notre agressivité/haine sans tomber dans un schéma réactionnel traditionnel groupe d´hommes contre groupe de femmes.

C´était pour nous pouvoir dire une parole bannie par un nouveau code féministe du bien et du mal, où tout « sentir de femme » était « juste ». Par exemple, le désir chez moi d´accoucher mon enfant pouvait être vécu comme réappropriation phallocratique de l´enfant avec rejet de la mère alors que la signification pour moi était de donner avec la femme la vie à l´enfant au sortir du ventre. A tout prendre, il paraissait plus normal à la mère que ce soit le médecin qui le fasse.. Alors que là, la position du médecin me paraissait être phallocrate, bien dans le pouvoir dû au savoir. Mais ce qui était plus difficile à exprimer à une femme, c´est que ce désir, il était flou et peut-être pas important, mais qu´il était essentiel qu´il sorte, pour qu´une fois hors de la tête, il prenne aussi une forme, aussi évanescente soit-elle. » [9]

A la demande exprimée par les femmes que les hommes soient plus présents, des hommes répondent par une demande de reconnaissance de leur propre désir de paternité (on comprend alors pourquoi certains veulent, pour assumer complètement leur désir ou non-désir d´enfant, disposer d´une contraception masculine). Pour le présent, beaucoup d´entre eux demandent que leur indétermination, leur flou actuel, soient eux-mêmes reconnus. Dès lors, le jeu des demandes débouche sur la nécessité de la prise en compte conflictuelle des désirs paternels et maternels, sur l´élaboration conflictuelle de la nouvelle place de chacun.

Guido de RIDDER o Revue Autrement n° 35 - Novembre 1981

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[1] La Paternité à la française, Contraception masculine-Paternité , n° 1, p. 48

[2] Cf. Eugénie Lemoine-Luccioni, Partage des femmes, Seuil, 1976, coll. Le champ freudien.

[3] Voir les articles de P. et M. Lacas, La non-puissance de l´homme et de A. Marty-Lavauzelle, Le petit garçon au ventre d´abeille, Dialogue, n° 60, avril 1978, voir Pascal Dibie, L´homme enceint, Le Monde-Dimanche, 25 novembre 1979, p. 15.

[4] Voir Catherine Vallabrègue, Des enfants pourquoi, éd. Stock.

[5] Christian, Allaiter les bébés, bulletin Pas Rôle d´Homme, n° 3, p. 10.

[6] Cf. Nicole prieur, La nouvelle histoire d´Adam et Ève, L´École des Parents, n° 10, décembre 1975.

[7] Idem, p. 42.

[8] Jean-Pierre Chrétien, Nicole Sellier, Ulysse à la maison, Informations sociales, n° 10, 1978, p. 27.

[9] Pierrot, Itinéraire dans les groupes de mecs, P.R.H., n° 4, p. 12-13.
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commentaires

G
<br /> <br /> Je reprends mon commentaire apparemment disparu à la seconde ligne : j'ai lu cet article avec grand plaisir, j'en suis l'auteur, je l'avais<br /> publié dans les années 80. Ce que je disais paraissait alors venu d'une autre planète (celle des hommes qui ne voulaient plus n'être que des "mecs")!!!... Aujourd'hui je suis un grand-père et je<br /> suis heureux de voir de plus en plus de jeunes pères affectueux, tendres, et attentionnés.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
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J
<br /> <br /> Toutes mes félicitations pour votre beau parcours de père devenu grand-père! J'avais été très heureuse de vous lire!<br /> <br /> <br /> <br />

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de Jostein Gaarder
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Pendant longtemps vous avez été un rêve dans le sommeil de votre mère, et puis elle s'est éveillée pour vous donner naissance.
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Peut-être qu'un enterrement chez les hommes est un repas de fête chez les anges.
&
La mort n'est pas plus proche du vieillard que du nouveau-né; la vie non plus.
de Khalil Gibran
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La femme n'allaite pas l'enfant, mais la destinée.
Paavo Haavikko
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Derrière le bébé, il n'y a pas seulement les neuf mois de conception d'un individu, mais les millions d'années de l'espèce !
Henri Piéron
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